La ville syrienne de arrān, centre d’un culte astral attesté depuis la plus haute antiquité,est un des endroits du Moyen-Orient où le paganisme a survécu le plus longtemps,jusqu’en pleine époque islamique. Cet “anachronisme” a suscité de nombreuses légendessur le culte des Ḥarrāniens, alimentées notamment par une littérature chrétienne antipaïenneissue de la ville voisine d’Édesse. Ces mythes ont été amplifiés par des auteursmusulmans, sous l’influence des Ḥarrāniens impliqués à Bagdad dans le mouvement detraduction gréco-arabe. Prônant l’identification de leur communauté avec les Sabéensmentionnés par le Coran, ils ont présenté le culte païen de Ḥarrān comme une religionrévélée par Hermès, dont les doctrines sont conformes à la philosophie d’Aristote. Lamystification médiévale a suscité d’autres mythes, modernes, qui font de Ḥarrān le berceaudes “sciences occultes” en islam et un des principaux centres par lesquels s’est effectuéela transmission de la philosophie tardo-antique dans le monde musulman. Ainsi,Simplicius y aurait fondé une école néoplatonicienne après son exil en Perse. De telsmythes, élaborés dès le 18e siècle par des chercheurs, mais également par des francs-maçonset des romanciers, jouent encore de nos jours un rôle dans la construction identitairede certaines communautés moyen-orientales en marge de l’islam, notamment lesDruzes.